"Nothing to hide" : qui a quelque chose à cacher ?

Pas moi ! Sauf que … 
 
Tout le monde a une vague idée concernant l'utilisation par les réseaux sociaux et de manière générale par les géants de l'Internet des informations que nous leur fournissons. En effet, s'ils mettent à disposition un service, ils ne le font pas réellement gratuitement, mais revendent nos données, par exemple à des annonceurs qui savent en faire bon usage – d'où la publicité ciblée. C'est pour cette raison que l'expression "Si c'est gratuit, c'est que vous êtes le produit" est si souvent utilisée.

Cependant ce documentaire, même s'il évoque l'aspect du devenir des données personnelles sur Internet, ne se contente pas de lister des processus techniques, mais évoque largement le danger qui pèse à la fois sur nos vies privées et sur nos démocraties. 

Si vous souhaitez le regarder, bonne nouvelle : le film est en ligne sous la licence Creative Commons, et est donc mis à disposition gratuitement sur Internet ici ou . Le site consacré au documentaire recense également les séances publiques de diffusion du film prévues en France et dans différents pays.

Comment les données peuvent-elles être utilisées, même quand on a « rien à cacher » ?

Ainsi qu'il a été mentionné plus haut, la publicité ciblée est un premier exemple auquel à peu près toutes celles et ceux qui ont déjà surfé sur Internet ont été confrontés : vous entrez « canapé » sur votre moteur de recherche, et le lendemain, bim, une multitude de publicités pour des canapés dès que vous ouvrez votre navigateur. Néanmoins ce n'est là qu'une des applications possibles … 

Dans le film, un jeune homme estime n'avoir « rien à cacher » ; il accepte pour les besoins du documentaire de voir son téléphone portable traqué, et ses métadonnées recueillies. Qu'entend-on par métadonnées ? Ce sont « les données sur les données » : par exemple dans le cas d'un appel, il s'agit de collecter l'heure, la durée, ou bien le destinataire mais pas le contenu. Ses données de localisation étaient également concernées par ce traçage. A partir de ces métadonnées, deux enquêteurs arrivent à reconstituer le profil du cobaye, qu'ils ne connaissent pas : son nom évidemment, son âge, ses relations, ses voyages, sa situation économique, son mode de vie … Le jeune homme, qui riait de l'expérience au début du film, se révèle impressionné et effrayé. 

Son parcours est émaillé de commentaires de spécialistes – militants de l'Internet libre ou anciens membres des services secrets états-uniens – discutant des possibilités d'utilisation des données. Un exemple marquant est celui des assurances, qui y trouvent un intérêt. En effet, connaître le mode de vie d'une personne pourrait permettre de déterminer son niveau de risque, et donc pour un assureur de fixer un prix plus ou moins élevé en fonction des informations obtenues. Ainsi, même si l'on estime n'avoir « rien à cacher », ce que nous divulguons sur Internet pourra dans un avenir proche se retourner contre nous. 

Par ailleurs, peu de personnes peuvent réellement se targuer de n'avoir « rien à cacher » : il est assez fréquent pour quelqu'un de tout à fait lambda de contrevenir à la loi, par exemple du fait d'un simple excès de vitesse. Or ces petites infractions sont tout à fait repérables via les données fournies par nos appareils mobiles. 

En résumé, l'argument si courant « rien à cacher » ne résiste pas dès que l'on en connaît un peu plus sur la collecte et l'utilisation des données, car toute information à disposition des géants d'Internet tels les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) peut être réutilisée pour nous enfermer dans la publicité ciblée, les bulles de filtre (voir les liens données dans ce billet), bref pour s'immiscer dans les vies privées et dans les cerveaux de tout un chacun.

De la démocratie

Cependant, le film se penche sur un aspect plus général, et qui va au-delà de l'impact des nouvelles technologies : l'avenir des démocraties (ou du moins, pour les sceptiques, des pays qui s'en approchent le plus) face à l'utilisation de ces outils, et l'attitude des gouvernants qui pourraient très bien en profiter. En particulier, une ancienne opposante politique au régime de l'Allemagne de l'Est, à l'époque surveillée quotidiennement par la Stasi, relate son expérience et notamment son arrestation. Elle constate que les instruments actuels à la disposition du pouvoir vont au-delà de ce que les espions intérieurs de son époque auraient pu rêver, puisque les informations sont bien entendu plus faciles à recueillir, mais de surcroît fournies par les citoyens eux-mêmes, avec leur consentement. 

Un exemple encore plus actuel est présenté : il s'agit d'un militant écologiste assigné à résidence durant la COP21, suite à la mise en place de l'état d'urgence. A travers lui, le prétexte bien connu de lutte contre la menace terroriste est remis en question : il est en général utilisé pour surveiller les citoyens, même ceux qui n'ont aucune accointance avec un mouvement terroriste. Comme l'indiquent les anciens employés du gouvernement états-unien, les informations que nous fournissons sur Internet sont à l'entière disposition des instances dirigeantes, et il n'appartient qu'à eux de décider s'ils les utilisent ou non, et si oui, quels usages ils en font. On comprend mieux, par conséquent, en quoi tout glissement vers un régime autoritaire saurait tirer profit de cette masse d'informations.

Une lueur d'espoir ?

Probablement par manque de temps, le film ne s'attarde pas sur les alternatives possibles aux outils informatiques que nous utilisons au quotidien et qui utilisent nos données, préférant ne les évoquer qu'à la fin. Le constat qu'il dresse est pourtant relativement pessimiste et mériterait d'apporter plus régulièrement des récits montrant la combativité et les moyens pour le citoyen lambda de reprendre le pouvoir sur son utilisation des outils Internet. 

Cependant le film est très pédagogue, avec une perspective sur la démocratie relativement originale comparativement aux habituelles mises en garde contre les géants du Web et leurs pratiques douteuses. Il a le mérite de s'adresser à celles et ceux qui estiment n'y rien connaître en informatique, et invite tout un chacun à s'informer plus avant sur ce danger potentiel, pour découvrir des idées existantes ou en cours de développement permettant de surfer d'une manière plus sécurisée – idées moins radicales que jeter tous ses appareils et désactiver l'intégralité de ses comptes sur les réseaux sociaux.

Pour aller plus loin 

Quelques liens éclairants pour apprendre, se protéger ou militer. 
 
La Quadrature du Net, association de défense des droits et des libertés des utilisateurs d'Internet.
 
Le réseau Framasoft, dédié à la promotion du logiciel libre, tenu bénévolement et proposant une grande quantité de services et de logiciels gratuits en alternative à ceux proposés par les géants d'Internet.

Enfin, si vous n'avez pas le temps de voir « Nothing to hide » pour le moment, quelques vidéos plus courtes : 

Si c'est gratuit, vous êtes le produit 


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