Marion Bartoli - ou comment rien ne protège du sexisme

Pour résister à la domination masculine, suffit-il d'être « forte » ? 

Marion Bartoli au tournoi de Wimbledon, en 2013

Récemment, la joueuse de tennis Marion Bartoli, qui avait décidé de prendre sa retraite après sa victoire au tournoi de Wimbledon en 2013, a annoncé son retour sur le circuit professionnel. Elle s'exprimait à ce sujet au micro de France Inter le 16 janvier. 

Je précise que je ne suis pas particulièrement une admiratrice de cette joueuse, et que cet article ne tend pas à faire son éloge sportive par tous les moyens. Sa technique de jeu, la sympathie qu'elle peut inspirer ou non, ou bien encore sa place au sein du tennis français me sont relativement indifférents. Je souhaite simplement revenir sur les propos qu'elle a tenus dans l'interview du 16 janvier.
Après un bref retour sur sa carrière sportive, ses relations avec d'autres personnalités du monde du tennis et ses objectifs pour les années à venir, la joueuse évoque ce qu'elle a vécu pendant des années avec son ex-petit ami. Ce qu'elle dit est assez révélateur.

Une question de volonté ?

Marion Bartoli est habituée aux commentaires sexistes et désobligeants sur son physique, auquel elle était parfaitement capable de répondre. Mais la grossophobie – c'est-à-dire les comportements hostiles aux personnes considérées comme grosses – l'a poursuivie jusque dans sa vie privée, via son compagnon de l'époque. Comme elle l'explique, celui-ci tendait à lui faire des remarques sur son poids et à la comparer de manière presque constantes à d'autres filles plus minces, dans un processus de dévalorisation qui d'après ses propos ne se limitait pas à l'aspect physique. Marion Bartoli dit avoir perdu plus de vingt kilos dans le but de faire cesser ces réflexions – puis dix autres supplémentaires à la suite d'une maladie. 
 
Pourquoi est-ce que son récit est frappant ? 

Dans l'imaginaire collectif, si une femme est victime de violences psychologiques – car c'est bien de cela dont il s'agit – et ne quitte cependant pas son compagnon, elle est en partie coupable. Pourquoi ne pas s'être enfuie ? Dans de nombreuses situations, ce dangereux statu quo est lié à une dépendance financière ou à la présence d'enfants dans le couple. Ce n'est pas le cas de Marion Bartoli. Aurait-elle manqué de volonté, serait-elle une femme faible ? Difficile à croire : on parle quand même d'une sportive de haut niveau, donc capable de dédier sa vie aux entraînements et de faire preuve d'abnégation, ayant remporté une des compétitions majeures dans le sport qu'elle pratique, ayant déjà subi des attaques sexistes et liées à son apparence et répliqué à celle-ci. Que s'est-il alors passé, pour qu'elle en arrive à plier son corps aux souhaits de son compagnon de l'époque, mettant ainsi sa santé en danger ? 

La réponse se laisse deviner dans l'interview : « C'est tellement systématique que vous finissez par l'accepter, parce que vous avez l'impression qu'en fait ça devient normal ». En d'autres termes, ce qui était auparavant inacceptable de la part de personnes non proches de Marion Bartoli – en l'occurrence de journalistes – s'est ainsi petit à petit immiscé comme une norme au sein de sa sphère privée, ne laissant pas de place, dans son esprit, à d'autres alternatives possibles. Ce mécanisme n'est pas propre à cette situation : la dévalorisation est une technique bien pratique pour exercer et garder un contrôle sur quelqu'un.

Que nous apprennent les mots de Bartoli?

Marion Bartoli ne correspond pas à l'image de la victime de violences psychologiques, placée sous l'emprise d'une personne, telle qu'elle est représentée encore trop souvent : il s'agit ici d'une sportive de haut niveau ayant attendu des années pour atteindre ses objectifs, sans souci financier, et capable de surmonter les attaques qui ne manquent pas de pleuvoir en tant que personne publique – en particulier femme et perçue comme grosse. Il est difficile de la percevoir comme une petite chose fragile, n'ayant pas de moyens, tant matériels que psychologiques. Pourtant, aucune de ces caractéristiques ne protège de la manipulation ni d'une emprise nocive ayant ici poussé jusqu'au trouble du comportement alimentaire. S'il est aisé de juger d'un point de vue extérieur le comportement de cette femme qui ne quittait pas son petit ami malgré ses attitudes, elle ne peut être jugée coupable d'être restée tant les mécanismes d'une telle domination sont difficiles à surmonter.

Ce qu'il faut également retenir, c'est que la grossophobie et l'idée de supériorité de l'homme sur la femme restent encore bien présentes chez certains : ici, il s'agit d'une femme mondialement connue, probablement plus influente que lui, qu'un homme a tenté de soumettre à sa volonté et de dévaloriser. Non pas que cela soit plus grave que s'en prendre à une personne défavorisée, n'ayant personne vers qui se tourner : cela montre juste que ni la classe sociale, ni la volonté individuelle, ne mettent à l'abri des velléités de la domination masculine.

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