Le féminisme sauvera-t-il la planète ?
Engagement commun et lutte contre la surpopulation
La question peut paraître relativement incongrue
: quel rapport entre d'un côté le combat pour l'égalité entre tous les genres et de l'autre, la protection de l'environnement ?
Des liens peuvent pourtant être effectués entre
ces deux thématiques.
Vandana Shiva, une des figures de proue de l'écoféminisme |
Parfois les mêmes militant-e-s, parfois un engagement commun
Un des
premiers rapprochements observables est d'ordre sociologique : celles
et ceux qui s'engagent
pour les droits des femmes, se préoccupent également d'écologie, et
vice versa, y compris quand l'un des combats uniquement est le fer de
lance de l'action et de la réflexion
militante. Ce n'est par exemple pas un hasard si la parole des femmes
avait déjà tenté de se libérer en 2016 au sein
d'Europe-Ecologie-Les Verts, le plus célèbre des partis écologistes
en France, autour du cas Denis Baupin.
Cette affaire pourrait laisser croire que ce parti, et uniquement
celui-ci, avait un problème de sexisme et de harcèlement ;
cependant elle montre plutôt que les droits des femmes ont été
suffisamment considérés en son sein pour que soit révélés les
cas d'agressions sexuelles qui s'y sont produits, comme l'explique la
chercheuse Vanessa Jérôme.
Parfois, les deux combats sont
effectivement combinés pour n'en former plus qu'un, sous la bannière
de l'écoféminisme, basé sur la double dénonciation du pouvoir des
hommes sur les femmes et de celui des humains sur la nature. En
France, écologie et féminisme sont notamment liés historiquement :
les deux sont en effet nés dans le creuset des avancées de mai 1968
comme l'explique l'écrivaine et féministe Francine Comte;
cependant il n'y existe pas encore de mouvements écoféministes
connus sur la scène publique. A l'échelle internationale, le
courant écoféministe est également porté par des militantes des
pays du Sud, telles Vandana Shiva
dont la pensée et les actions sont axées à la fois sur la
protection de la biodiversité et sur l'empowerment des
femmes.
Jinwar, le village des femmes situé en Syrie, s'inscrit dans une
démarche similaire, alliant autonomie de la communauté
essentiellement féminine et durabilité des pratiques, en lutte
contre le capitalisme.
Cependant
l'écoféminisme peut se heurter à certains écueils, notamment
celui de l'essentialisme, c'est à dire l'idée selon laquelle hommes
et femmes sont fondamentalement différents, y compris dans leur
rapport à la nature. Francine Comte met en garde contre cette
conception : « un écoféminisme fondé sur l’idée
que les femmes sont plus proches que les hommes de la nature, de la
« Mère nature », n’est pas une bonne réponse :
le féminisme ne peut reposer sur des schémas simplistes
d’opposition binaire entre les sexes, ni sur l’appropriation d’un
mouvement par l’autre. ». Un dialogue entre féminisme et
écologie doit donc être mené, afin de pouvoir mener à
l'émancipation des femmes en parallèle d'une approche écologique
et non plus matérialiste de l'environnement.
Du pouvoir aux femmes, contre la surpopulation
Un des soucis régulièrement
évoqué dans la lutte pour la préservation de l'environnement et
contre le réchauffement climatique est la surpopulation : elle
a d'ailleurs fait l'objet d'une vidéo du vulgarisateur scientifique
DirtyBiology.
Il y rappelle d'ailleurs qu'évoquer la surpopulation sert parfois à
faire peser le poids de la responsabilité aux pays dits « en
développement » dans lesquels le taux de natalité est plus
élevé, et ce alors que ces mêmes pays consomment moins, polluent
moins et émettent moins de gaz à effet de serre que les pays
industrialisés. Néanmoins, s'inscrivant dans les traces de Thomas Malthus,
de nombreux scientifiques préconisent une diminution du taux de
croissance de la population mondiale. Ce fut le cas dans le manifeste publié en novembre 2017 sous l'impulsion de 15000 scientifiques,
qui affirmait que « la croissance démographique rapide et
continue est l’un des principaux facteurs des menaces
environnementales et même sociétales ».
C'est là que le féminisme et
l'émancipation des femmes interviennent : en effet l'accès des
femmes à la contraception et aux moyens de contrôler leur
reproduction, ainsi qu'à l'éducation et à des carrières
professionnelles, les conduit à avoir moins d'enfants : les
scientifiques le soulignent dans leur manifeste, recommandant de
faire en sorte « qu'hommes et femmes aient accès à
l'éducation et à des services de planning familial » ;
le rapport du Fonds des Nations unies pour la population publié en
2013
montre d'ailleurs que le non-respect des droits des femmes conduit
aux mariages des enfants, aux grossesses avant l'âge de 18 ans et
par conséquent à un plus grand nombre d'enfants. Cela est encore
plus fréquent dans les cas de pauvreté extrême. Ces constatations
concernent principalement les pays du Sud, mais les pays occidentaux
n'en sont pas exempts : le Fonds des Nations Unies montre que la
pression au sein de la communauté, des pairs, de la famille ou des
comportements tels une faible valorisation de l'éducation des filles
sont autant de causes de grossesse adolescente ; or ces schémas
peuvent se retrouver dans les pays occidentaux. De manière plus
générale, et quel que soit le pays et la culture considérée, le
nombre d'enfants et l'âge du premier enfant diminuent avec
l'éducation et l'activité professionnelle.
En résumé : le
développement des droits des femmes, en particulier éducation et
maîtrise de la reproduction, ont un impact sur la démographie et
celui-ci pourrait se révéler salvateur pour l'environnement – ou
du moins atténuer un peu le mal qui lui est fait et améliorer le
sort des générations futures.
Pas une relation de cause à effet établie, mais …
Dire « le féminisme sauvera
la planète » serait peut-être un bon argument pour rallier un
plus grand nombre de personnes à cette cause, mais serait à
coup sûr un raccourci assez mensonger. Disons plutôt que, outre un
recrutement social des militants semblable pour les deux types
d'engagement, il existe des pistes permettant d'allier ces deux
aspects, allant d'une meilleure communication entre les deux
mouvements jusqu'à l'écoféminisme. Il semble d'ailleurs important
de ne pas mener un combat au détriment de l'autre, comme le ferait
une pensée écologique reposant sur des capacités ou des idéaux
perçus comme féminins par nature et mettant les femmes en avant non
pas pour les émanciper ou faire valoir leurs droits, mais pour leur
faire peser la charge de la préservation de l'environnement. Si l'on
retourne la question, on pourrait se demander si promouvoir les
droits des femmes dans une logique libérale, les incitant par
exemple à devenir de puissantes cheffes d'entreprise capitalistes,
auraient un impact positif sur l'environnement. Par conséquent, le
féminisme ne sauvera pas plus l'environnement que l'écologie ne
libérera les femmes ; cependant mener ces combats en commun
peut se révéler fécond comme le montre la production de la pensée
et de l'action écoféministe. Par ailleurs, un aspect du féminisme
qui peut parfois être oublié dans les pays occidentaux a également
un rôle à jouer dans la lutte pour l'environnement, via la
maîtrise de la démographie : il s'agit du contrôle pour
chaque femme de sa reproduction, et de l'accès égalitaire à
l'éducation.
Quelques liens pour aller plus loin
Puisque toutes les
sources utilisées n'ont pas pu être mises en lien plus haut, voici
celles qui peuvent vous permettre d'en apprendre plus :
« Peut-on être féministe et écolo ? » et « Faut-il réduire lapopulation mondiale pour sauver la planète ? »
sur le blog d'Audrey Garric, hébergé par Le Monde.
Les articles « Ecologie
et féminisme » sur le site d'Ecorev, Revue Critique d'Ecologie
Politique
Article très intéressant. Je n'avais jamais entendu parler d'écoféminisme jusqu'à présent, mais je découvre ce domaine avec plaisir (ainsi que Vandana Shiva). Merci pour ton effort de synthèse et pour nous permettre d'élargir notre réflexion !
RépondreSupprimerMerci ! Contente que ça vous ai plu :)
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